Comment êtes-vous arrivé à l’escrime handisport ?
Ludovic Lemoine - J’ai eu un cancer du fémur à 5 ans avec une amputation totale de la jambe droite à 6 ans. Mes parents ont tout de suite compris que le sport serait un excellent moyen de résilience, de me réapproprier mon corps, de retrouver du lien grâce à tous les bienfaits physiques et mentaux qui y sont associés. Étant portés sur les arts martiaux, ils m’ont inscrit au judo à 7 ans. Mais pratiquer un sport où il faut faire tomber l’autre lorsqu’on est soi-même sur une jambe, c’est compliqué. Ils ont donc contacté la Fédération française handisport qui les a orientés vers un club d’escrime en fauteuil à Vannes où s’entraînaient deux membres de l’équipe de France et leur maître d’armes. J’ai donc découvert l’escrime à 8 ans et cela a été le coup de foudre immédiat.
Qu’est-ce qui vous a plu ?
L. L. - C’est un sport de combat où les protections permettent de s’engager totalement sans risquer de blesser l’autre. C’est stratégique, physique et technique. On n’en fait jamais complètement le tour car il est impossible d’en maîtriser chaque geste à chaque instant. Il faut sans cesse travailler car il y a toujours quelque chose à corriger. S’ajoute un vrai rapport de force mental car les deux tireurs sont très proches.
Vous dîtes aussi que ce sport favorise l’inclusion. Pourquoi ?
L. L. - Les fauteuils sont fixés sur la piste donc n’importe quel escrimeur valide peut s’asseoir sur un fauteuil ce qui annule son avantage de jambes. Il doit alors se concentrer sur son bras et sa main ce qui lui permet d’être meilleur lorsqu’il refait de l’escrime « debout ». Pour moi, c’est un adversaire complémentaire et cela me fait travailler différentes techniques de main. C’est donc gagnant-gagnant.
Quel est votre rapport aux Jeux paralympiques ?
L. L. - Participer aux Jeux paralympiques, voir la flamme s’allumer était un rêve de gosse. Mon rêve s’est concrétisé pour la 1ère fois en 2012 à Londres, à 26 ans. Y participer était déjà une victoire donc rentrer de Londres avec une médaille d’argent par équipe au fleuret, en déjouant tous les pronostics, était fantastique. Quatre ans après à Rio, outre l’honneur d’être capitaine de l’équipe de France d’escrime handisport, je remporte une nouvelle médaille de bronze par équipe au fleuret.
Par contre vous n’étiez pas à Tokyo
L. L. - Je suis rentré de Rio très fatigué. Peu après, je suis devenu papa d’une petite fille. Un vrai chamboulement ! J’ai ressenti le besoin de prendre du recul et ne me sentais pas repartir pour une nouvelle olympiade. Sans délaisser l’escrime, mes priorités étaient davantage ma vie familiale et professionnelle puisqu’en 2017 LCL, que j’ai rejoint en 2015 avec une convention de sportif de haut niveau, me propose un poste de conseiller clientèle privée à Clermont-Ferrand que j’occupe quatre ans. Depuis 2022, je suis conseiller clientèle des professionnels.
Vous conciliez donc sport de haut niveau et activité professionnelle. N’est-ce pas trop contraignant ?
L. L. - C’est essentiel ! Dès la fin de mes études en 2009, j’ai concilié les deux. Pour s’épanouir et durer dans le sport de haut niveau, il faut trouver l’équilibre entre vie personnelle, professionnelle et sportive. Certes, il faut faire des concessions tout en gardant cet équilibre en tête. Ce poste à Lcl est un vrai plus.
Revenons à 2017. En quoi est-ce une année particulière ?
L. L. - C’est l’année où le Comité International Olympique choisit Paris pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Avoir l’opportunité de vivre des Jeux à domicile est une chance unique pour un sportif. Je ne pouvais pas laisser passer ça. J’ai donc repris la compétition, mais la Covid a modifié le programme des sélections et hypothéqué mes chances pour Tokyo.
Vous vous êtes donc focalisé sur Paris 2024 ?
L. L. - C’était l’objectif suprême. Tokyo a été en quelque sorte un tremplin vers Paris. Pour aller au bout de ce projet, Lcl m’a pleinement soutenu et mis dans les meilleures dispositions pour me qualifier et performer à Paris avec des détachements sportifs importants sans perte de salaire. Grâce à mes proches, à Lcl et d’autres partenaires qui m’ont suivi dans cette aventure, j’ai pu avec mon staff du Stade Clermontois Escrime me consacrer totalement et sereinement à ce projet.
Que retenez-vous de vos Jeux à Paris ?
L. L. - Pour ces premiers Jeux Paralympiques organisés en France, nous avions de grosses attentes en termes d’organisation, de couverture médiatique et d’engouement du public. Le résultat a été bien au-delà de tout ce que nous pouvions imaginer. De plus, gagner une 3ème médaille de bronze par équipe au fleuret sous le magnifique écrin de la nef du Grand Palais devant un public en « feu » qui nous a portés jusqu’à la victoire était magique ! Elle récompense des années de travail, de sacrifices, et la confiance de tous mes partenaires. Cette médaille de bronze à aussi une saveur particulière puisque je l’ai remportée devant ma famille et ma fille, et contre les Italiens que nous n’avions pas battus depuis 2015. C’était à la fois une véritable performance sportive et une grosse charge émotionnelle. Paris 2024 a donc été une réussite totale.
Et maintenant, direction Los Angeles 2028 ?
L. L. - Même s’il ne faut jamais dire « fontaine… », repartir pour un cycle de 4 ans c’est long. Le parcours de sélection est très exigeant physiquement et mentalement. À Paris, j’ai vécu quelque chose d’extraordinaire de la cérémonie d’ouverture jusqu’à la parade des champions sur les Champs-Elysées. Il va être difficile de revivre de telles émotions sportives et une telle communion avec le public.
Mais même après 30 ans de pratique, dont 21 à haut niveau, ma passion pour l’escrime est intacte. Une chose est sûre, je ne serai pas très loin des pistes et ne lâcherai jamais les armes.
Quel message souhaitez-vous faire passer ?
L. L. - Mon seul souhait est que la période vécue cet été ne soit pas qu’une parenthèse enchantée, mais un véritable tournant dans la mise en lumière du parasport.
*Retrouvez le parcours de Ludovic Lemoine sur : https://www.ludovic-lemoine.fr